Pourquoi il faut suivre la loi Sapin 2

Publié le 7 Juin 2016

Andrea Mantegna, Minerve chassant les vices du jardin de la vertu, v. 1500-02, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre,

Andrea Mantegna, Minerve chassant les vices du jardin de la vertu, v. 1500-02, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre,

 

La loi « Sapin 2 », une loi fidèle au discours du Bourget ?

 

Pendant que les projecteurs sont encore braqués, affrontements obligent, sur la loi El Khomry, une autre loi, plus discrète, mais pas moins fondamentale si elle va jusqu’au bout de ses objectifs affichés, commence son chemin parlementaire.

 

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », est en discussion en séance publique à l’Assemblée depuis le 6 juin. A la différence de la loi El Khomry, la philosophie générale du texte paraît peu susceptible de provoquer une opposition de principe des parlementaires, et en premier lieu des parlementaires de la majorité.

 

Ce projet de loi, que le député socialiste rapporteur de la loi Sébastien Dénaja a présenté comme la réalisation, en acte, du discours du Bourget où le futur Président de la République avait proclamé « notre ennemi, c’est la finance ! », poursuit, selon le ministre Michel Sapin, deux objectifs : d’une part, un accroissement de la transparence, « afin de lutter contre le soupçon » et, d’autre part, « la lutte contre la finance qui prospère sur les abus, qui contourne, qui corrompt, et l’encouragement de celle qui, à l’opposé, permet de créer, de développer de l’activité, de l’emploi, d’innover pour redresser et renforcer notre économie ».

 

Protection des lanceurs d’alerte, lutte contre la corruption au sein des entreprises, moralisation des pratiques des élus : les principales dispositions du texte.

 

Le projet de loi vise à instaurer en premier lieu un statut protecteur du lanceur d’alerte, considérablement renforcé par amendements. Restent à déterminer les modalités du recueil de l’alerte, les soutiens financiers aux lanceurs d’alerte, et les moyens de parer aux risques personnels et professionnels encourus par ces derniers. Sans clarification sur ces points, la mesure sera en effet sans portée. Autre point aveugle : le statut des agents publics lanceurs d’alerte, qui ne sont pas inclus dans le dispositif.

 

Du côté des entreprises, les mesures principales annoncées concernent la création d’une nouvelle agence contre la corruption. Encore une fois, le diable est dans les détails : quelle sera son indépendance, qui seront ses membres et quels seront ses moyens ? Car, ne nous leurrons pas, ce sont ces points qui sont décisifs, et non l’étendue des compétences reconnues à cette nouvelle agence.

 

Côté moralisation de la vie politique, on compte deux dispositifs phares : inéligibilité obligatoire des élus condamnés pour corruption, et, ajouté par voie d’amendement adopté en commission, un renforcement du pouvoir de contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ainsi qu’un droit d’alerte de cette dernière à destination des têtes de l’exécutif si elle a connaissance d’une situation fiscale délicate d’un ministre. Ces dispositifs ne seront pas adoptés sans remous, tant la question est sensible chez les élus…

 

La haute administration n’a pas été oubliée par les députés, qui ont déposé « un amendement Bézard » visant à encadrer davantage les pantouflages de hauts fonctionnaires dans le secteur privé. Nous en parlions récemment. Cet amendement, en outre, transfère à la HATVP, dont les avis seront publics, le contrôle des pantouflages, jusqu’ici confié, avec une efficacité toute relative à la commission de déontologie. Cet amendement – qui va à l’encontre de loi sur la déontologie des fonctionnaires du 20 avril 2016 - sera-t-il adopté ? Rien n’est moins sûr.

 

 

De fortes incertitudes demeurent sur le sort du « reporting public pays par pays » et de la transaction pénale pour les entreprises corruptrices.

 

Côté transparence des entreprises, le débat reste vif entre le gouvernement et les députés sur le reporting public pays par pays qui devrait permettre de lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale des multinationales. La jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait être appelée à la rescousse par le gouvernement, absolument opposé à ce dispositif en l’état actuel des choses.

 

Tout aussi polémique est la proposition d’instaurer une forme de transaction pénale pour les entreprises reconnues coupables de corruption. Le dispositif initial, qui suscitait une vive hostilité des magistrats, avait été retiré du projet de loi, après l’avis négatif rendu par le Conseil d’État. Sa nouvelle mouture, réintroduite par amendement, soumet le dispositif au contrôle du juge d’instruction plutôt que du procureur. Mais malgré cet aménagement, cette procédure reste controversée.

 

Si les objectifs du texte font consensus, la bataille s’annonce rude sur les dispositifs qui seront finalement adoptés. De l’issue des batailles qui s’engagent dépendra la portée du texte : cosmétique ou porteur d’une véritable moralisation de la politique, de l’administration et de l’économie. C’est pourquoi il importe d’en suivre avec attention les étapes, ce que nous nous efforcerons de faire sur ce blog.

 

 

 

Rédigé par Carnets de Justices

Publié dans #actualité législative

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P
Le blogueur Authueil semble légèrement moins confiant sur l'utilité de ce projet de loi... http://www.authueil.org/?2016/06/01/2330-un-clown-nomme-michel-sapin
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