La commission de déontologie va-t-elle devenir un instrument efficace de prévention des conflits d’intérêt ?

Publié le 28 Mai 2016

La commission de déontologie va-t-elle devenir un instrument efficace de prévention des conflits d’intérêt ?

A l’approche des élections présidentielles, la fuite de très hauts fonctionnaires vers des postes de responsabilité dans le secteur privé semble s’accélérer. Les médias y ont trouvé l’occasion de rappeler au grand public l’existence de la « Commission de déontologie de la fonction publique ». Le « 20h de France 2 » n’a pu s’empêcher d’ironiser sur l’avis favorable donné par cette instance chargée d’examiner si aucun conflit d’intérêts ne s’opposait à ces pantouflages au départ des conseillers économiques du Président vers la compagnie d'assurances Axa ou l'entreprise de gestion d'actifs Amundi (mardi 24 mai 2016). Challenge a également relevé, avec un étonnement feint, que le futur ex-directeur du Trésor n’avait même pas été auditionné de visu par la Commission avant d’être autorisé à entrer dans le fonds d'investissement franco-chinois Cathay Capital.

Un spectre large

Présidée par un conseiller d’Etat et composée de hauts magistrats et de hauts fonctionnaires, l’institution est chargée de donner un avis lorsque des fonctionnaires (et assimilés) souhaitent « pantoufler » (environ 900 saisines par an) et, depuis 2007, cumuler leur fonction publique avec une activité privée (plus de 2000 saisines par an).

Son spectre théorique est large. Son contrôle vise en effet potentiellement les 5,5 millions d’agents des trois fonctions publiques, quelle que soit leur position hiérarchique : hauts-fonctionnaires (fortement sur-représentés), enseignants (environ le tiers des saisines), agents de catégorie B (environ 20% des saisines) ou fonctionnaires de catégorie C (environ 15% des saisines).

La Commission de déontologie pourrait ainsi constituer un instrument majeur dans la prévention contre la corruption. Dans son rapport Lobbying in Europe (avril 2015), Transparency international saluait cette institution originale et prometteuse. Mais, en pratique, son action reste faible.

Et une action faible

D’abord parce qu’elle n’est pas obligatoirement consultée en cas de départ d’un fonctionnaire vers le secteur privé. En 2009, cette saisine facultative a provoqué des remous : un ancien conseiller du Président avait été propulsé président du groupe Banque populaire Caisses d’épargne dont il avait accompagné la naissance depuis l’Elysée, sans que la Commission ne soit même consultée. Mais seuls quelques correctifs circonscrits ont alors été apportés.

Ensuite, parce que la Commission ne dispose d’aucun pouvoir d’enquête. Elle doit s’en remettre, pour l’essentiel, à ce que les intéressés et leurs administrations d’origine veulent bien, ou pas, leur dire.

Enfin, parce que seuls ses avis d’incompatibilité, qui concernent moins d’1% des saisines, sont obligatoires. Quand la Commission subordonne l’activité privée à certaines conditions, l’administration –qui autorise la mise en disponibilité- n’est, en revanche, pas tenue de les reprendre à son compte. Ces réserves apparaissent d’ailleurs souvent de pure forme, surtout pour les plus hauts placés. Les hauts fonctionnaires de la direction générale des finances publiques sont ainsi régulièrement autorisés à devenir avocat fiscaliste, sous réserve qu’ils n’aient pas de relation professionnelle avec les services centraux de la DGFiP. Mais rien n’interdit qu’un confrère s’en charge pour eux. Et les contacts avec les services départementaux ou régionaux ne sont en rien proscrits.

Une réforme longtemps espérée

Sur ces points, la loi relative à la déontologie des fonctionnaires (n°2016-483) du 20 avril dernier apporte des innovations réclamées depuis longtemps. La saisine de la Commission devient obligatoire avant tout départ vers le privé ou cumul ; des pouvoirs d’instruction lui sont reconnus et les avis deviennent obligatoires non seulement dans les cas exceptionnels d’incompatibilité « sèche » mais dans ceux fréquents de compatibilité « avec réserve ».

La Commission, qui a fêté son vingtième anniversaire l’année dernière, accédera-t-elle donc à la maturité ? Pas si sûr.

Un nouveau tigre de papier ?

Car comme le notait déjà l’organisation internationale non gouvernementale dans le rapport mentionné ci-dessus, les moyens alloués à la Commission ne sont pas à la hauteur des ambitions. Et la réforme ne va faire qu’accroître cette distorsion. Alors que l’activité de la Commission doit substantiellement gonfler, l’étude d’impact ne prévoit qu’une augmentation très limitée de son coût de fonctionnement. Par exemple, il n’est pas prévu d’augmenter le temps passé pour étudier chaque dossier : à quoi serviront donc les pouvoirs d’instruction ?

Le contrôle préventif des conflits d’intérêts qu’opère la Commission restera-t-il donc, au même titre que la législation répressive en la matière (une des plus sévères du monde et une des moins appliquées), un acrotère au Panthéon des tigres de papier ? Au risque d’accroître encore la défiance à l’égard des élites.

Rédigé par Carnets de Justices

Publié dans #actualité législative

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