La Cour de Justice de l’Union Européenne et le Brexit

Publié le 17 Juin 2016

La Cour de Justice de l’Union Européenne et le Brexit

L’ingérence de la Cour de justice de l’Union européenne dans les législations nationales votées par des représentants élus est régulièrement dénoncée par les partisans du Brexit. Pour l’ancien secrétaire d’Etat au travail et aux pensions, Duncain Smith, les recours en manquement contre le Royaume-Uni –ce recours qui permet, à l’initiative d’un État membre ou de la Commission européenne, de sanctionner un État qui ne respecterait pas droit de l’Union- sont « la preuve que la Cour européenne non élue est maintenant suprême, au-dessus de notre Parlement élu ». La justice communautaire est ainsi rendue responsable de ruiner le Parlementarisme britannique.

Une ingérence dans le droit britannique à relativiser

A l’appui de cette thèse, les partisans du Leave martèlent que le gouvernement anglais perd les trois quarts de ses causes devant la Cour de justice de l’Union européenne. C’est vrai, mais cette statistique est calculée sur de si petits nombres (un ou deux cas par an) qu’elle n’est d’aucune valeur. Et, comme le montre le graphique ci-dessous, le Royaume-Uni est loin d’être le pays le plus visé par des recours en manquement, ou le plus condamné par les juges de Luxembourg !

Les sept recours en manquement admis contre le Royaume Uni au cours des cinq dernières années pèsent peu par rapport aux deux mille lois votées chaque année par le Parlement... Difficile de dire, comme le font les pro-Brexit que «les juges de Luxembourg tiennent les rennes».

Une décision bienvenue mais ambiguë

La Cour de Justice de l’Union européenne l’a d’ailleurs opportunément rappelé mardi 14 juin 2016. D’un strict point de vue juridique, la décision qu’elle a rendue n’a rien de novateur (une question semblable avait déjà été jugée en septembre 2015 s’agissant de l’Allemagne). C’est son écho politique qui est remarquable. A une semaine du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, les juges de Luxembourg ont donné raison à Londres en l’autorisant à discriminer certains citoyens européens. Ils ont en effet rejeté le recours de la Commission européenne contre la législation britannique qui réserve certaines aides sociales aux étrangers européens résidant légalement au Royaume-Uni (autrement dit les actifs, ceux qui disposent de ressources suffisantes ou les familles de sujets de la Couronne).

Le Premier ministre britannique s’est empressé de saluer cette décision qui conforte les tentatives des conservateurs pour limiter les versements d’aides sociales aux ressortissants de l’Union européenne qui s’installent au Royaume Uni, tout en privant les partisans du Leave d’un de leurs arguments favoris.

Mais en y regardant de plus près, la CJUE apporte une victoire beaucoup moins nette qu’il n’y paraît aux partisans du Remain. Ce qu’ont immédiatement relevé leurs adversaires : la décision de la CJUE n’a validé la législation anglaise qu’avec réserves. En effet, si la Cour a considéré que la différence de traitement entre ressortissants de l’Union et nationaux britanniques était proportionnée, c’est seulement parce que le Royaume-Uni a affirmé à l’audience que la légalité du séjour des citoyens de l’Union n’était vérifiée qu’en cas de doute, et non de manière systématique. Ce qui signifie implicitement que si, à l’avenir, il était démontré que les autorités britanniques procédaient à un contrôle généralisé, la restriction des aides sociales aux citoyens de l’Union non actifs devrait être regardée comme une discrimination prohibée.

 

A la lumière de cette décision (programmée pour la cause ?), la Cour de justice de l’Union européenne apparaît comme n'étant ni totalement déconnectée des débats politiques nationaux, ni entièrement leur prisonnière. De fait, elle ne fait vraiment l’affaire d’aucun des deux camps, tout en laissant prospérer l’idée, au-delà du seul contexte britannique, que des arrière-pensées politiques peuvent influer sur les décisions d’une justice réputée indépendante. Dans le contexte actuel de défiance généralisée à l’encontre de l’Union européenne, il y a peu de chance que l’image du juge européen en sorte grandie.

Rédigé par Carnets de Justices

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