La relaxe Wildenstein, un jugement de pur droit, vraiment ?

Publié le 15 Janvier 2017

La relaxe Wildenstein, un jugement de pur droit, vraiment ?

Conscients que leur décision était susceptible d’être « incomprise », les juges du tribunal correctionnel de Paris ont longuement motivé la relaxe générale pour l’évasion fiscale du siècle. En 85 pages, le jugement se présente comme exclusivement fondé en droit, comme pour s’excuser de son étrangeté à l’égard du « sens commun ».

Le mythe d’un droit pur, rebelle aux considérations profanes, laisse cependant perplexe. D’ailleurs, même d’un point de vue juridique, la relaxe n’est pas à l’abri de toute discussion.

Le jugement justifie la relaxe en trois temps

Premièrement, depuis au moins trois générations, des membres de la famille Wildenstein ont pris soin de dissimuler derrière des constructions juridiques inconnues du droit français (trusts) un patrimoine considérable qui échappait ainsi en grande partie à l’impôt. Cette volonté très claire de dissimulation peut être qualifiée de frauduleuse.

Deuxièmement, pour transmettre leur patrimoine en franchise (ou presque) d’impôt, les Wildenstein ont utilisé un mécanisme inconnu du droit civil français, les trusts. Or, jusqu’en 2011, aucune loi ne prévoyait l’imposition de la propriété des biens placés dans des trusts. Alors que depuis la fin du XIXème siècle, de grandes fortunes utilisent ce montage juridique, le législateur est resté muet sur cette question.

Troisièmement, la loi pénale est d’interprétation stricte. La méthode utilisée par les membres de la famille Wildenstein pour dissimuler leur fortune n’étant ainsi pas expressément interdite,  elle ne peut être considérée comme répréhensible.

Le tribunal correctionnel ne peut donc sanctionner pénalement la fraude fiscale (cqfd).

Le juge de la fraude fiscale n’est pas le juge de l’impôt

Cette démonstration a l’apparence de la solidité. Mais en raisonnant ainsi, le tribunal correctionnel a réduit sa fonction à celle du juge de l’impôt. Alors que ce dernier apprécie la conformité au droit des redressements fiscaux, le rôle du juge pénal est d’évaluer la culpabilité d’un contribuable défaillant. Mais dans son jugement du 12 janvier 2017, le tribunal correctionnel a laissé cette fonction de côté : il a en effet fait de la légalité des montages la question déterminante.

A première vue, cela peut sembler logique : comment pourrait-on reprocher à quelqu’un d’avoir fraudé l’impôt si un manquement aux règles fiscales n’a pas été mis en évidence ? Pourtant, à y regarder de plus près, la manière dont le juge pénal a endossé les habits du juge de l’impôt n’est pas du tout évidente.

D’abord, pour établir l’existence d’un manquement aux règles fiscales, le juge de l’impôt peut constater un « abus de droit », qui consiste dans le fait de manipuler les lacunes de la loi dans le seul but d’éviter une charge fiscale. Le tribunal correctionnel s’y est, quant à lui, refusé. Il a considéré que le principe d’interprétation stricte de la loi le lui interdisait.

Mais cette déduction était loin d’être inéluctable.

Le principe de légalité rigide s’applique à la loi qui définit l’infraction et la réprime. Or, en matière fiscale, le délit est constitué par le fait de s’être « frauduleusement soustrait » aux impôts, notamment en ayant « volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt » (article 1741 du code général des impôts). La loi déconnecte ainsi l’infraction pénale de la violation des articles du code général des impôts : la fraude fiscale existe au vu de l’intentionnalité (les manœuvres volontaires) et du résultat (l’évasion fiscale).

Le délit fiscal n’est donc pas défini comme un manquement aux règles techniques de l’impôt ; c’est la volonté d’éviter l’impôt en recourant à un mécanisme frauduleux.

Une impunité pour les « surdoués de la fiscalité » à rebours

Au contraire, le jugement du 12 janvier 2017 refuse de déconnecter cette fonction morale et juridique  de la répression pénale de la fraude fiscale de la procédure administrative de redressement (qui permet simplement au fisc de récupérer les impôts éludés).

Le tribunal correctionnel a bien constaté chez les Wildenstein une « volonté très claire de dissimulation frauduleuse » pour faire en grande partie échapper à l’impôt un patrimoine considérable. Pourtant, il a prononcé une relaxe générale. Ceux qui savent manipuler les failles législatives, évitent ainsi toute répression, même s’il est net qu’ils ont intentionnellement soustrait au fisc des sommes colossales.

Le plus inquiétant est sans doute que ce jugement du tribunal semble loin de traduire une position isolée parmi les juristes français. ll est en effet dans la ligne de la décision QPC (dans cette même affaire) du 24 juin 2016. Jusque-là, la Cour de cassation considérait que le juge pénal pouvait parfaitement condamner un contribuable qui avait obtenu l’annulation du redressement fiscal devant le Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel a adopté la position inverse. En considérant que la décharge prononcée par le juge de l’impôt, interdisait une condamnation pénale, le juge constitutionnel promettait déjà l’impunité aux spécialistes de l’ingénierie fiscale.

Ainsi se ferme la porte à la répression de la délinquance fiscale (très) astucieuse, dans laquelle se sont pourtant engagés de nombreux pays, y compris  –à travers la lutte contre l’agressive tax avoidance- les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Comme si dans la France d’aujourd’hui, l’intérêt de la société devait s’effacer devant celui des « surdoués de la fiscalité ». 

 

Rédigé par Carnets de Justices

Publié dans #Jurisprudence, #audiences

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