Droit Au Logement Opposable et "recours effectif" : quand les mots du droit ne sont pas les mots de la vie

Publié le 30 Mai 2016

Droit Au Logement Opposable et "recours effectif" : quand les mots du droit ne sont pas les mots de la vie

La langue du droit détourne souvent les mots de la langue commune de leur sens pour leur donner une acceptation particulière…Pensons, par exemple, aux citations, acteurs et autres astreintes.

Bourdieu avait bien pointé ce particularisme linguistique que les juristes cultivent pour assurer leur monopole sur ce champ du savoir. Cette façon d’user du langage ne devrait plus avoir cours aujourd’hui, à l’heure où le mot d’ordre est l’intelligibilité. Pour améliorer la lisibilité des décisions de justice, les juges sont incités à reléguer aux oubliettes les expressions surannées, des ‘considérant’ aux ‘nonobstant’.

Malgré ces efforts, l’avis contentieux rendu le 27 mai dernier par le Conseil d’Etat (n°397842) sur une question relatif au caractère « effectif » du recours institué dans le cadre du Droit Au Logement Opposable, souligne l’altérité des mots du droit.

Rappelons le système légué par le président Chirac aux derniers jours de son second mandat. Les demandeurs de logement social, dont la détresse est particulièrement criante, peuvent être déclarés « prioritaires ». Si, malgré ce, leurs démarches n’aboutissent pas, ils peuvent demander au juge administratif d’ordonner au préfet de région de leur attribuer un logement. Et lorsque, malgré cette injonction, aucune proposition ne leur est faite, l’Etat doit verser un petit pécule –selon les cas, entre 1200 et 5000 euros par semestre- à une caisse publique, le Fonds d’accompagnement dans et vers le logement. Autrement dit, le recours au juge a pour seule conséquence de contraindre l’Etat à transférer une somme d’une de ses poches vers une autre.

C’est peu de dire que le système fonctionne mal. Les associations constatent que 51.000 prioritaires DALO, dont 40.000 en Ile-de-France, restent à reloger, certains depuis 2008. Une mission de l’Inspection Générale des Affaires Sociales a, en novembre 2015, jugé ce contentieux coûteux, inefficace et « sans espoir » pour les requérants qui n’en tirent aucun profit. Dans son rapport 2016, le Défenseur des droits réclame la « mise en œuvre effective du droit au logement opposable ». Le gouvernement lui-même le reconnaît : le projet de loi Egalité et Citoyenneté, dont le parcours législatif débute, s’efforce d’améliorer les « piètres performances » -en Ile-de-France- du dispositif d’accès des ménages défavorisés au logement social mais il n’aborde pas ce recours qui devait pourtant fonctionner comme un levier.

Pour permettre le relogement des personnes prioritaires, il faudrait construire davantage, modifier les critères d’attribution ou resserrer les conditions d’accès au logement social…Mais de telles actions sont totalement hors des attributions du juge administratif qui ne fait qu’appliquer la loi et dont les injonctions sont condamnées à ne produire aucun effet réel et tangible.

Cela, c’est l’analyse commune. Dans la langue juridique, les choses sont différentes. La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour n’avoir pas relogé effectivement une demandeuse de logement social prioritaire (dans l’arrêt Tchokontio Happi du 9 avril 2015) pouvait laisser quelques espoirs aux auteurs de la demande d’avis. Mais le Conseil d’Etat a réaffirmé, vendredi dernier, que la voie de recours ouverte aux demandeurs devant un juge doté d’un pouvoir d’injonction et d’astreinte, même au profit, non du requérant, mais du fonds d’accompagnement dans et vers le logement, « présente un caractère effectif ».

L’adjectif conserve ainsi, dans son acception juridique, une valeur qui n’est pas accessible au profane.

Rédigé par Carnets de Justices

Publié dans #Jurisprudence

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